top of page

LES CONFÉRENCES

 

LA PEINTURE À L’ÉPREUVE DE LA VÉRITÉ (part III)

 

                                                                                                      TEXTE CONFÉRENCE 24 MARS

                                                                                                     Lycée International de Valbonne

 

 

 

 

ŒUVRE

Claude MONET, Peupliers, 1888 (série en miniatures) et Meules de foin, 1891 (série en miniatures)

 

Claude Monet achète un terrain marécageux, traversé par un cours d’eau, à Giverny, en 1893 avec la somme acquise par la vente de trois tableaux. Il achève sa série sur la Cathédrale de Rouen avant d’entamer sa série sur les Nymphéas, en 1897. Après un séjour à Londres, en 1899, il revient à ses Nymphéas, achète un terrain jouxtant le sien et fait agrandir son jardin, façonnant le paysage à sa guise. Monet s’installe à Giverny pour y constituer un atelier sur nature, un cadre expérimental total dont il organise peu à peu en rachetant des terrains voisins et en les modifiant structurellement, un univers pictural. Se faisant paysagiste, jardinier aussi, il connait l’éclat de chaque teinte que les fleurs qu’il plante proposeront en saison, sait comment les reflets sur le cours d’eau créeront un univers de fusion entre eau, terre et ciel. Monet compose littéralement son jardin de Giverny en connaissant intimement ce qui le lie à sa peinture. Dès lors, ce ne sont plus des études d’un paysage observé au cours de voyages et de balades extérieures, impliquant des déplacements longs et parfois difficiles, mais une peinture qui est à l’état brut sous ses yeux et qu’il doit transformer comme un alchimiste en peinture. Mais l’intérêt de sa démarche de réside pas dans l’imitation des apparences de ce qu’il a sous les yeux. 

 

ŒUVRES

Claude MONET, Nymphéas (série de 1904)

Vingt années de la vie du peintre sont passées presque exclusivement à peindre ses bassins et ponts de Giverny, ses Nymphéas et les éléments qui les portent. Il intensifie le travail autour des Nymphéas en 1904, puis ne cesse plus, 1905, 1906, 1907 et après un voyage à Venise, sans doute sur les traces de Turner encore une fois, reprend sa série la même année. Il est intéressant de regarder de près son obstination à saisir la même chose en 1907. Un format vertical, contrecarrant les normes habituelles du paysage – il fera également quelques tondos (cercles) –

 

ŒUVRES

Claude MONET, Nymphéas (série de 1907)

 

ŒUVRES

Claude MONET, Nymphéas (série de 1914)

 

Son format est souvent un quasi carré, en général de 89x92cm. D’autres légèrement rectangulaires de 80x100, ou plus grands d’environ 150x200cm. À partir des années 1916, il dépasse régulièrement les 100x200cm, vers 1920, dépasse les 300 cm, puis ce sont 198x596, 200x850 cm et 197x1280cm et même 1690cm, près de 17m de longueur en 1922 à l’Orangerie. Il traverse une période sombre avec la mort de sa seconde épouse en 1909, Alice, jamais remise du décès de sa fille en 1899, Suzanne, modèle de la Femme à l’ombrelle du peintre. Une bonne partie de son domaine est endommagé par des inondations. Il ralenti nettement sa production de toiles. L’idée d’exposer des peintures dans un espace qui leur serait totalement consacré se concrétise dans les premières années DE la Guerre avec le soutien de Georges Clémenceau. Un bâtiment spécial sera construit aux côtés de l’Orangerie à Paris, de forme ovale, sous le contrôle du peintre. Cette œuvre monumentale est disposée dans deux salles contigües et composées chacune de quatre toiles de format très rectangulaire et sur un plan courbe. Monet qui souffre de la cataracte, sera opéré de l’œil droit en 1923 par le médecin personnel du chef de l’État, après de longues hésitations qui ont contribué à rende le peintre quasi aveugle. L’opération est un succès relatif qui perturbe sa perception des teintes. Il se consacre après l’opération à sa série sur le Pont japonais de son domaine de Giverny et achève les grandes toiles pour l’Orangerie.

 

ŒUVRES

Claude MONET, Nymphéas (Musée de l’Orangerie, Paris)

 

Aucune photographie ne rendra compte de ce qu’il voit. Sa peinture ne traduit pas seulement le visible. Monet le dit à longueur d’année, il tente de peindre quelque chose d’impossible. Il veut saisir le mouvement à la surface de l’eau et l’ondulation des tiges de ses Nymphéas sous la surface, la transparence qui s’épuise lentement vers le fond de la rivière, les reflets que l’eau troublée par le vent offre des arbres sur les rives mais également le ciel qui apparait entre leurs branches et même les nuages en mouvement au-delà. C’est un monde en mouvement, non plus en état de fusion comme chez Turner mais en perpétuel changement.

 

ŒUVRES

Claude MONET, Pont japonais (série de 1924 à 1926)

 

Toute la peinture occidentale reposait sur l’idée de la forme, sur l’affirmation d’une séparation des espaces, de la construction d’une boite spatiale conçue comme une scène de théâtre ramenée sur les deux dimensions de la toile de façon illusionniste. Monet fait voler en éclat les notions de forme, de contour, d’horizon, de plan, de perspective. L’horizon se redresse au point d’être insituable, il n’y a plus d’écart entre le proche et le lointain, peu de distinction possible entre la chose et son reflet, la surface de l’eau équivaut à la surface de la toile.

Cézanne cherchait à capter une insaisissable structure au-dessous ou en deçà du visible, Monet abandonne toute idée de structure même sous-jacente pour ne capter que la lumière qui fait vivre les couleurs et le mouvement de l’air. Peinture qui met en avant texture et matérialité qui sont sa condition première tout en révélant un monde fluide, sans limite.

 

Cézanne luttait pour placer quelques millimètres de vérité supplémentaires dans ses toiles, Monet lutte pour ajouter quelques miettes de temps au sein de l’espace qu’il construit. Il tente de saisir une chose qui n’a pas de réalité matérielle, c’est une chose simple à envisager en fait, air, souffle, vent, nuage, vapeur, reflet, onde, transparence, etc.

Mais il tente également de saisir une part d’invisible, une « épaisseur » qui n’existe ni dans les choses, ni dans l’espace qui les sépare et rejoint en ce point l’entreprise de Cézanne lorsqu’il parlait de la nature qu’il parcourait. Cette vérité impossible à définir sur le monde est, poursuivie comme objectif, l’occasion d’inventer un monde en peinture, vrai celui-là, sans doute plus vrai encore que le monde lui-même dont la somme des illusions nous laisse incapables de discerner bien souvent ce que nous voyons. La peinture telle que l’envisagent Cézanne et Monet, dans le développement ultime de leur œuvre, produit un équivalent en peinture  de cette entreprise déraisonnable de connaître la vérité sur le monde qui nous entoure et au sein duquel nous nous trouvons, à l’égal de toute chose.

Monet a fait don de cette œuvre à son pays au lendemain de l’Armistice de 1918. L’œuvre fut accrochée aux murs des salles de l’Orangerie quelques mois après sa mort, en 1927. Il disait de ses Nymphéas de l’Orangerie qu’elles étaient « illusion d'un tout sans fin, d'une onde sans horizon et sans rivage » ...

 

 

 

 

Christophe Cirendini

Cannes mardi 24 mars 2015

 

 

bottom of page