top of page

LES CONFÉRENCES

 

CONFÉRENCE du 04 octobre 2005, Centre International de Valbonne, dans le cadre de SOPHIA-CONFÉRENCES*                   

 

Intervenant : Christophe Cirendini, professeur agrégé d’arts plastiques au Lycée régional de Valbonne

Public : Classes préparatoires HEC

 

 

 

 

En guise de préambule

 

Il faut bien un début : les premiers peintres du paysage américain sont des européens ou formés en Europe. Ces artistes mettent en scène les avatars transposés du romantisme européen finissant auxquels se mêlent un naturalisme béat, une solide nostalgie pour le Paradis perdu et la douce atmosphère restituée des grands espaces propre à la méditation. D’où viennent-ils? d’Europe. Où vont-ils?  

À l’ouest toujours plus à l’ouest. Qui sont-ils ? Des migrants qui rêvent de possession de terre vierge où pousse l’or comme les fleurs et ils sont prêts à tout pour cela, dresser des barrières, traverser d’est en ouest le pays avec des rails, exproprier, massacrer et parquer les survivants. A quoi rêvent-ils? Au paradis perdu que cette nature immense leur évoque et pour laquelle ils se sont tant battus et dont les constructions ont entamé la beauté sauvage. Alors cette nature devient à leurs yeux la source d’une immense fierté bien qu’ils se sentent coupables de l’avoir déflorée, alors ils l’adoreront sous forme d’images saintes, de paysages grandioses dans lesquels ils se représenteront vulnérables, contemplatifs ébahis ou bien actifs comme des fourmis ouvrières mais toujours humbles face aux éléments et à l’immuable. Les liens les plus forts unissent tradition européenne et jeune peinture américaine, et ce malgré des revendications nationalistes affirmées, il n’en reste pas moins que l’Allemagne, l’Angleterre et la France exercent une influence prépondérante sur la production américaine. Dans un premier temps par l’intermédiaire des grands modèles historiques français du XVII° s., puis de celle de l’académisme historicisant allemand et enfin des académies parisiennes, du style de Barbizon et des impressionnistes. Au XX° s. vers la fin des années soixante, la contestation et la critique des modèles américains tant sur le plan social qu’artistique donneront naissance à un rapport nouveau au paysage, cherchant curieusement ses origines dans l’immensité désertique et les grands espaces du Nevada.

 

 

 

UNE HISTOIRE DU PAYSAGE AMÉRICAIN

 

 

 Je me suis penché l’année précédente sur la possibilité d’une peinture véritablement espagnole, dégagée des influences flamandes et italiennes, je reviens à la charge cette année avec l’idée qu’il y a une spécificité américaine dans la représentation du paysage, dégagée des modèles européens. Pour quelqu’un qui veut s’aventurer d’Est en Ouest, cela ressemble à un filon. Y-a-t-il une spécificité du paysage américain, donc ? C’est ce que nous allons tenter de savoir en racontant une histoire du paysage américain. Dans un premier temps nous aborderons la  partie nord  du continent en bateau, guidés par le souvenir ému du Roussillon, de Rome, des Alpes suisses et de la campagne anglaise, puis nous remonterons quelque rivière mythique pour contempler ébahis le coucher du soleil et rêver d’une humanité nouvelle dans un paysage inviolé, enfin nous construirons quelques barrières, dresserons une cartographie imaginaire autant que pragmatique et filerons sur les routes à  travers le désert, pour vérifier si dans cette immensité tout a bien été dompté.

 

I- UN EDEN À QUELQUES DÉTAILS PRÈS (ou) le rôle des modèles européens

 

Tentons de définir d’emblée ce qui caractérise le paysage américain.

Wide and Wild Country.Vue panoramique des grands espaces. Spectacle clair et dégagé. Grand format susceptible de frapper le spectateur, étagement des plans très respectueux d’une perspective de type « atmosphérique ». Dimension morale et propagandiste. Souci de réalisme minutieux. Naturalisme acharné. Surdimensionnement du rapport entre l’homme et la nature.

D’où vient cet ensemble de traits de caractère ? La Hollande, à travers ses paysages peints au XVII° s. donnera le sentiment que la nature est un jardin qui s’étend jusqu’à l’infini. L’immensité plate et illimitée rend la disposition perspective des choses sous l’œil un peu vaine. Voilà probablement une des raisons pour lesquelles les hollandais vont porter l’intérêt sur la lumière plus que sur les structures architecturales mises en perspective. Cette vision naturaliste est particulièrement bien représentée par Jacob Van Ruysdael.

 

DIA

Jacob van RUYSDAEL (1628-1682)

            « Paysage boisé de montagne avec un torrent », 1665 (77,5x95)

 

Les anglais, quant à eux préfèrent reconstituer une nature élémentaire, libre de toute géométrie apparente et cependant très organisée, créant un refuge pour l’imaginaire plus que pour la raison.

De plus l’intérêt des peintres anglais pour la représentation de l’atmosphère, du ciel et de ses changements incessants à travers notamment l’œuvre de John Constable marquera les jeunes peintres américains.

Ce ciel que l’anglais Constable nommera « la principale source du sentiment ».

DIA

John CONSTABLE (1776-1837)

            « L’écluse», 1824 (142x120)

            « The Heavy Rain » 1821

 

Le paysage anglais le « Park scenery » était sensé exprimer ce sentiment de vie rustique et paisible, fait de vallons qui ondoient dans l’harmonie.

Mais un autre aspect déterminant de la peinture issue d’Angleterre qu’incarne le travail de J.M.W.Turner va fournir aux américains la dimension épique et romantique qui manquait aux vues de la campagne anglaise, en effet Turner voyage à Venise, traverse les Alpes et en, ramène des vues ou la question du sublime se substitue à celle du beau.

DIA

James Mallord William TURNER (1775-1850)

            « Tempête de neige : vapeur à la sortie du port », 1842 (91x122)

            « Le navire de guerre le Téméraire remorqué avant d’être détruit », 1838

 

L’Allemagne et son peintre de paysage romantique par excellence Caspar David Friedrich fournira le goût de l’immensité et de l’inaccessible, de la quête mystique face au spectacle sans limite de la nature.

DIA

Caspar David FRIEDRICH

            « La grande réserve », 1832 (73x102)

            « Le retable de Tetschen », 1808 (115x110)

 

De nombreux peintres deviennent peu à peu de méticuleux topographes, notamment depuis que la camera lucida permet de reproduire avec une grande exactitude les traits d’une vue immense et que les lentilles optiques permettent de découvrir de nouveaux horizons.

 

[L’invention du paysage idéal classique] :

 

DIA

Claude LORRAIN (1600-1682)

            « Scène de sacrifices à Apollon », 1682 (176x223)

 

Virgile est le poète, à travers les évocations de l’Eneide, qui a nourri le plus le paysage classique.

Se mêle à des éléments réalistes nés d’une expérience concrète avec la nature  le rêve, le mythe de l’Age d’Or, lieux idéal où l’homme vit des fruits de la terre dans la paix et la sérénité. L’évocation du monde antique, avec sa plénitude de vie auxquelles s’ajoute la nostalgie, celle de ce même idéal auquel on aspire mais qui demeure éloigné, perdu. Dans les œuvres de Claude Gelée, dit le Lorrain, une mise en scène du spectacle de la nature s’ouvre comme un opéra lumineux, avec ses coulisses, ses plans successifs, ses passerelles, ponts, chemins, bosquets, groupes humains. Ces scènes de ports évoquent ce moment ou Enée abandonne la grandeur et la sécurité de Carthage pour l’éblouissement de lointains inconnus. Le sentiment naissant d’une véritable esthétique du paysage se concrétise à travers la réalisation d’objets de contemplation purement jouissive comme cette « lunette du Lorrain » qui permettait de voir le paysage avec les couleurs des tableaux du grand peintre. Mais en Angleterre, et par conséquent aux Etats-Unis par la suite,  l’idée que l’amour de la nature puisse aller de pair avec la raison d’un ordre intellectuel n’a jamais séduit grand monde. Le paysage idéalisé, comme le paysage symbolique issu de la Renaissance ont pour point commun leur rêve d’un paradis terrestre, ce rêve d’harmonie entre l’homme et la nature. C’est l’idée que la nature possède une force spirituelle particulière et infinie qui guidera les premiers pas de la peinture américaine de paysage. Au cours du XVIII° et du XIX° s. le naturalisme a été élevé par l’idée que, puisque la nature est l’expression claire de la volonté divine, alors la peinture d’un paysage dans un souci humble de vérité pouvait exprimer des idées morales.

 

II- Le style « Grand Opéra » (ou) l’esprit du Wilderness

 

 

[ Le cas de le HUDSON RIVER SCHOOL]

 

La peinture américaine de paysage va donc se développer dans une recherche de dimension spirituelle juxtaposant les signes de l’immuable et ceux de l’éphémère. C'est l'image d’un état primordial, sauvage,vierge, inviolé qui est donnée de ce territoire sans limites apparentes, dont les frontières semblent être dictées par l'Absolu plus que par l'homme. L’artiste est pensé comme un médiateur entre le spectateur et le divin incarné dans la nature.

DIA

Washington AALSTON :« Paysage de lac », 1804

 

Thomas COLE, arrive vers 1818 d’Angleterre. Il incarne assez justement le peintre de la contemplation des choses éternelles : le « Wilderness » vu comme le Paradis d’origine.

DIA

Thomas COLE :

                       « Scène tirée du dernier des mohicans », 1827 (64,5x89)

                       « Caterskill Falls », 1826

                       « The Clove Catskill », 1827

                       « Cycle des âges de la vie » :

                              L’enfance

                              L’age adulte

                              La vieillesse

                       « La destruction de l’Empire »

                       « Mont Holyoke », 1836

                       « Vue sur le Catskill au début de l’automne », 1837

                       « L’Etna depuis Taormina »

 

Thomas Cole a peint des paysages romantiques dans lesquels littérature, allégories et observations de la nature se mêlaient de façon spectaculaire. Il a également écrit « Essay on American Scenery » en 1835 où il met les américains en garde contre les « dégradantes quêtes de l’avarice » qui occultent les beautés de la Nature et empêchent l’homme d’être conscient de l’harmonie de la Création. La figure humaine bien qu’elle ne semble que contempler le paysage est en communication avec le créateur et son être intérieur tout à la fois. Lieu : le lac George, montagnes du nord est de l’état de New-York. Le paradoxe est qu'il s'agit d'un lieu très touristique vers la fin du XIX° et loué par la Hudson River School. La peinture et la poésie ont fait de ces lieux des mythes transformés en hauts lieux touristiques. Après une phase gouvernée par la représentation idéalisée d’une beauté « naturelle » du paysage, la peinture américaine va s’engager plus avant, à mesure que le territoire parcouru était circonscrit par les colons, que les villes cessaient d’être des forts et des campements.

 

[Nostalgie et destruction]

 

DIA

Asher Brown DURAND: « Dans les bois », 1845 (153x122)

Thomas MORAN (1837-1927) : « Mountain of The Holy Cross », 1876

 

L’attraction très forte pour les territoires vierges et indomptés pousse les peintres à projeter des visions où l’homme moderne vit en harmonie avec la nature en contact direct avec le sublime. À mesure que le paysage est transformé, divisé, hiérarchisé il est montré comme inaccessible et inviolé. La peur de la disparition hante nombre de ces peintures. Ainsi l’on commença à peindre les forêts lorsqu’elles furent menacées par le déboisement intensif et le peuplement, de même que l’on peignit le commerce des bateaux à voile lorsqu’il fut remplacé par celui des bateaux à vapeur. Ce sentiment typiquement romantique consiste en la remémoration, le culte du souvenir et l’idéalisation d’un passé disparu ou condamné.

DIA

Charles RUSSEL :

Frederick REMINGTON :

 

Les peintres Charles RUSSEL et Frederick REMINGTON dans les vingt premières années du siècle se sont employé à restituer la grandeur passée des hommes qui luttaient tant contre la nature hostile que face aux indiens dans des oeuvres qui servent d'emblème national, louant le Wild Life in a Wild Country. Il n'est pas surprenant de constater que cette attitude a perduré à travers tout le XX° s.

Ainsi vers la fin du XX°s :

 

DIA

            -Thomas HILL (1829-1908) : « Great Canyons of the Sierras », 1971

            - Sydney LAURENCE, « Mount Mac Kinley », 1924

            - Howard TERPNING, « Moving Day on the Flathead », 1981

            - Thomas  RYAN, « Sharing an Apple », 1969

            - montage de publicités pour Marlboro

 

Après la première phase de véritable développement du paysage américain peint marqué par les références fortes au passé européen, on assista à une revendication idéologique forte dès les années 1850, en effet, si l’Eden américain restait le sujet par excellence, il fut demandé aux artistes de cesser de se rendre en Europe et de chercher autour d’eux les motifs et la lumière de leurs toiles. Ces revendications venaient relayer le discours de Henry David Thoreau qui dans son livre « Walden ou la vie dans les bois » insistait sur la nécessité de comprendre et de vivre avec son environnement naturel le plus proche. Nous y reviendrons. La recherche de réalisme était considérée comme un préalable à tout Idéalisme vers lequel la peinture tendait, ainsi l’œuvre devait présenter les aspects les plus parfaits de la Nature et révéler ainsi la perfection de la Création.

 

DIA

Asher Brown DURAND: « Dans les bois », 1845 (153x122)

DIA

             Portrait de Frederick Edwinn CHURCH

            « Crépuscule à l’infini »,   1860 (101,6x126,6)

 

Frederick Edwinn Church qui fut son élève et lui succéda rompit avec l’évocation littéraire à l’européenne et donna au paysage sa dimension d’ « histoire naturelle ». Il s'agissait pour le spectateur de contempler le paysage comme un fait d'histoire. Sans cesse attiré vers des paysages grandioses qu’il parcoure effectivement il consigne ses impressions à l’aide de notes et de croquis avant de les transposer sur la toile en les modifiant pour accentuer leur idéalisation. Il y a dans ses expéditions un désir de fuir la réalité du monde en pleine mutation économique, sociale et industrielle. La dimension épique de son entreprise évoque Melville et son Moby Dick.

 

DIA

            « Niagara », 1857 (230X100)

            « Rainy Season », 1866

 

 

bottom of page