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les CONFÉRENCES

                                       CONFÉRENCE du vendredi 19 mars 2010, MJC Picaud de Cannes

 

Intervenant : Christophe Cirendini, professeur agrégé d’arts plastiques au Lycée régional de Valbonne

Public : lycéens de l’option cinéma AV du lycée Bristol (Cannes) et de l’option arts plastiques, du Lycée Simone Veil et du LIV

 

 

 

 

 

 

 

 

     

   AUTOUR DE L’HOMME À LA CAMÉRA DE DZIGA VERTOV 

(À PROPOS DE LA MODERNITÉ )

 

 

 

CHAP.1 - TABULA RASA

 l’éloge de la modernité (Борьба между старым и новым)

CHAP.2 - ALPHABET DU CORPS 

 une hygiène de l’espace et de la lumière (азбука тела)

CHAP.3 - LA LETTRE, LA VITESSE, L’ESPACE

 apologie de la cité (буква, скорость, пространство)

CHAP.4 - GRAMMAIRE DE LA VISION 

 l’art total et l’art pour tous (Грамматика видения)

 

 

 

AVANT PROPOS 

 

Si je me risquais à vous demander de définir un monde urbain idéal, un accord rêvé entre citadins et métropole, une harmonie entre l’homme et la technique, alors il est probable que vos suggestions traceraient les grandes lignes d’un univers transparent, écologique, dégagé des contraintes matérielles, presque aérien, léger, fluide, sans fil ni bruit. Cette représentation serait alors celle des espoirs de notre époque, de ses fantasmes donc. Le film de Dziga VERTOV que vous avez vu porte à l’écran de manière manifeste le premier élan de la modernité, celle des premières décennies du XX° siècle et de sa réalité comme de son rêve d’universalité.

 

L’époque dont je vais vous parler a clairement exprimé le souhait de concrétiser ce qui n’apparaissait alors qu’à la manière d’un imaginaire littéraire : l'union de la société des humains et d’une civilisation mécanique et électrique. La peur de la société industrielle, de son bruit et de sa noirceur était celle du XIX°, mais les progrès technologiques une fois affirmés, dès les lendemains de la première guerre mondiale, cette peur s’est changée en espoir. L’espoir, sans doute démesuré, de voir l’homme libéré par la machine, l’espoir de le voir évoluer en harmonie avec le progrès technologique, au sein des grandes villes. VERTOV n’est pas seul, il vit au cœur d’un climat artistique révolutionnaire à plus d’un terme. Sculpteurs et architectes, photographes et typographes, peintres et graphistes, décorateurs et metteurs en scènes travaillent dans une direction commune. Tous veulent rapprocher l’art et la vie réelle, tous veulent signifier leur credo en la modernité d’une manière sobre, efficace, sans fioritures inutiles. Ainsi, par volonté de la réformer, la société et son développement souvent violent et ouvertement utopique à la fois, forme une référence majeure pour les artistes de ce XX°siècle. Le romantisme et le symbolisme, emblèmes du XIX° ont finis sous les bombes de Verdun avec les derniers rêves d’un monde végétal, celui de l’Art Nouveau et des partisans d’une union musicale et symbolique avec la nature. La boucherie des tranchées et l’absurdité des combats ont sommés les intellectuels et les artistes de réagir, sommés de quitter leurs douces rêveries et de se mettre au travail de manière commune. Il y eut, avant la guerre de 1914-1918 et après, comme il y eut plus tard dans le siècle, avant et après la guerre de 1939-1945. La plupart des vies artistes que j’évoquerai à partir de cet instant ont vu leur existence bouleversée par les deux. L’on ne sort pas indemne de deux guerres mondiales, on en ressort brisé ou plus fort.

L’heure est venue alors de bâtir un monde de A à Z, en réinventant la vision, les principes de construction, en cherchant la lumière et la transparence, l’évidence de la pureté formelle géométrique, l’absolu équilibre. Ce sont ces points qui, précisément, lient les recherches les plus avants gardistes du XX° siècle avec le classicisme : de la recherche d’un équilibre formel strict associée à une idée de ce qui est beau et bon à la fois, dans une quête universelle de vérité.

Mais il fallut d’abord se débarasser des traces persistantes du XIX° et de ses symboles, de sa bourgeoisie prétentieuse, de son injustice profonde, de son art crépusculaire et pseudo-religieux, de ses citatons antiques caricaturales, de son goût ringard pour l’exotisme, de ses mises en scènes orientalistes, de ses dorures et son velours de salon, de son obsession pour l’histoire antique et de toutes les formes de l’académisme… Il fallut faire table rase de tout ce passé encombrant, quitte à oublier parfois que le XIX° siècle et les précédents ne se résumaient pas uniquement à cela, loin s’en faut. Mais l’heure n’était pas aux considérations sentimentales à l’égard des choses du passé, il fallait concevoir, former, bâtir, édifier, ériger, diffuser, convaincre.

 

CHAP.1 – TABULA RASA : l’éloge de la modernité (Борьба между старым и новым)

 

Durant cette décennie qui succéda à la guerre de 1914, il s’est agit de réinventer un espace viable pour l’homme. L’architecture séculaire des villes, souvent à l’état de ruine, n’est plus de mise : il faut construire rapidement pour répondre aux besoins d’une société en pleine expansion, soucieuse de panser ses plaies mais tout autant de regarder vers l’avenir. Le progrès technologique, bien que regardé encore par certains comme une menace, est majoritairement adopté pour ses nombreuses vertus. Les constructions sont légères et rapides à mettre en œuvre, elle privilégient la transparence, la communication et le confort moderne. À l’ancienne idée du luxe, que représentaient les meubles de familles, les objets de prestige et les tableaux à dorure, s’est substituée l’idée que le luxe était avant tout espace et lumière.  Les avancées technologiques mettant en scène l’éclairage artificiel, les techniques de construction associant avec force et élégance le béton, le verre et le métal deviennent les éléments d’une redéfinition totale de l’espace habitable. Il s’agit de réapprendre à vivre, libérés le plus possible des contraintes matérielles, sociales et économiques. Le projet du Bauhaus, véritable laboratoire expérimental, école et agence d’architecture et de design à la fois, vise à libérer la population des contraintes ordinaires, à l’affranchir du poids des usages traditionnels, à réinventer un mode de vie, des objets du quotidien aux ensembles d’habitation.

 

DIAS : (réalisations du Bauhaus, maison de verre de Pierre Charreau, Gropius, Le Corbusier, Mies van der Rohe. Meubles de Elleen Gray, Marcel Breuer…)

 

Les formes du monde ont changé, soit. L’architecture de Mallet-Stevens, tout d’abord décorateur des films de Marcel l’Herbier avant de devenir architecte,  est une architecture nouvelle, résolument moderne, d’une géométrie sensible et lumineuse, comme celle de Pierre Chareau et de sa maison de verre, ou encore les purs joyaux de Le Corbusier, Walter Gropius et de Mies Van der Rohe, constituent un nouveau cadre de vie à la fois utopique et réalisé. Le monde des objets a été lui aussi réformé par la naissance de ce que nous appelons aujourd’hui le design, à la différence près qu’il ne s’agissait pas d’un sport de bourgeois mais d’une volonté affirmée de satisfaire le plus grand nombre.

Les artistes, qu’ils soient peintres, photographes, cinéastes, vont naturellement s’emparer de ce nouveau vocabulaire formel et le transfigurer, le forger en une matière artistique innovante, expérimentale. La géométrie est à la base de l’intelligence de cette profonde réfome qui s’empare de la société. Une géométrie mesurée et savante comme à la Renaissance, basée sur une harmonie impeccable et un souci d’efficacité tant visuelle que pratique. Les objets sont simples, fonctionnels et beaux. Leur matière est sobre, ni dorure inutile, ni parure luxueuse, leur luxe est l’association de leur fonctionnalité absolue et de leur forme épurée. La plupart de ces réalisations figurent encore aujourd’hui, absolument pas démodées dans notre environnement, près d’un siècle après. Le monde se remplit donc de formes fondamentales et de matériaux aux textures lisses, impeccables. L’acier, le fer blanc, le verre, le chrome sont le prétexte à des études nombreuses, axées sur la perfection formelle (purisme formel de la Straight Photography américaine)

 

DIAS : parallèle entre les gros plans de Vertov sur des objets mécaniques et les prises de vues de la Straight Photography

 

Mais la nature  n’échappe pas à ce regard qui voit, au-delà des apparences des choses, leur nature essentielle, leur structure première. On assiste à une géométrisation salvatrice du monde, comme à une vaste opération de décrassage du regard, embué par des décennies de privilège de l’impression et du psychologisme, de la revendication individuelle subjective. L’art tend dèslors à une certaine objectivité sensible et scientifique à la fois, comme si l’union des arts et de la recherche était devenue enfin possible. C’est en quelque sorte à un paradoxal retour conceptuel que l’on assiste, celui d’une relecture des anciens grecs, des valeurs associées du bon, du bien et du beau. Il y a de nombreux parallèles entre la pensée des grecs, celle des penseurs de la Renaissance et les modernes radicaux des premières décennies du XX°. C’est bien d’un langage nouveau qu’il s’agit, de la constitution de son alphabet, de son vocabulaire et de leur adéquation au monde moderne que la ville incarne par dessus tout. Formes, sons, couleurs, matières, font l’objet d’une considération nouvelle, pour ce qu’ils sont, de manière autonome, sans les préjugés de leur attribution à telle ou telle idée de la ressemblance au monde perçu, à ses représentations imagées.

 

DIAS : photographies de Weston mises en parrallèle (WC, Poivron, corps d’Anita)

 

D’un point de vue formel les trois sujets sont très proches et volontairement choisis dans des registres très distants pour insister sur leur logique formelle identique. C’est l’analogie que le regard repère et la poursuite d’une même exactitude, tout sentimentalisme rejeté qui compte.

Le refus de l’imitation, de la mimesis, le refus des codes narratifs littéraires et théâtraux, le refus de la tonalité en musique, des livrets classiques dans la danse ou l’opéra ne sont pas des refus stériles, une simple opposition aux conventions et aux règles académiques. Il s’agit d’une révolution esthétique autant que sociale et politique. L’œil et l’esprit se voient investis d’un pouvoir totalement régénéré, loin des idéaux bourgeois faits de nostalgie romanesque et de paysages ou portraits édulcorés. La hiérarchie n’est pas établie entre d’une part des objets luxueux et rares et de l’autre des choses simples et usuelles, la vraie hiérarchie s’établie entre ce qui est pensé de manière simple, belle et rationnelle à la fois et ce qui ne l’est pas.

 

CHAP.2 - ALPHABET DU CORPS : une hygiène de l’espace et de la lumière (азбука тела)

 

Le sport, ou du moins l’éducation physique, devient une hygiène de vie, de même que la danse, le théâtre, le cinéma, le cirque, l’orchestre ne sont plus uniquement des plaisirs pour rîches mais deviennent des activités populaires. Le travail à la chaîne est montré comme une danse rythmée, toutes les étapes de la vie comme faisant partie intégrante d’une société totale.

Hommes et femmes sont montrés comme acteurs de cette vie trépidante, hors de stéréotypes chers aux statuuts de la vie bourgeoise montrant l’homme au cigare en costume et madame en robe longue près du piano. Le corps est montré, sans fausse pudeur, athlétique et libre de ses mouvements, il n’est plus engoncé dans des convenances corsetées. L’idéal est celui du souffle, de la respiration, du rythme, de la marche, de la course, de la danse. Le corps exprime une dynamique exceptionnelle, une vitalité qui unit toutes ses activités, du travail à la danse.  Mais le corps est aussi un magnifique, dont la mécanique morphologique est prolongée par l’industrie et ses objets. L’idée selon laquelle il n’y apas de divorce entre le corps et l’industrie est indispensable à cet effort pour reconstruire un monde utile pour tous. Là est l’utopie, le credo.

Ce n’est q’au cours des années trente que cette utopie fut détournée de son sens initial pour servir de façon caricaturale les idéologies les plus radicales et violentes. Le corps entre les mains des nazis, des fascistes, des pétainistes et des franquistes devient un instrument de pure propagande.

L’hygiène est interprétée à l’éclairage des hygiénistes criminels.

 

FILM : Karel TEIGE (alphabet du corps)

ICONOGRAPHIE de la conférence

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